Attention à cette vieille histoire autour de la mort d’Adama !

Attention à cette vieille histoire autour de la mort d’Adama !

Le samedi 18 novembre 2023, une information est apparue sur des pages Facebook d’internautes guinéens parlant de la mort d’une jeune fille qui était en route pour l’aéroport, où elle devait prendre son vol pour la France. Adama – c’est son nom – , était accompagnée de sa maman et de deux autres personnes. Elle et sa maman ont rendu l’âme dans l’accident. Tandis que les deux autres membres de sa famille ont été blessés lors du violent impact.

Ladite information a été partagée, entre autres, par la page Facebook de FLASH Guinée 224, où elle a récolté 185 partages, 487 commentaires et 1 350 likes à la date du lundi 20 novembre 2023. Le communicant Alpha Alimou Diallo a aussi partagé la même information sur son mur Facebook. Son post avait récolté 117 partages et 447 commentaires, le 20 novembre 2023 à 14H40. Nous ne citons que ces deux-là à titre d’exemple, d’autant que plusieurs utilisateurs du réseau social Facebook ont repris cette information, au point de devenir virale.

A vue d’œil, on a l’impression que cette information est récente. Car aucun contexte ni précision ne l’accompagne. D’ailleurs, pour un internaute guinéen qui ne pousse pas les recherches, il penserait que le drame se serait passé en Guinée ici. En effet, dans ces publications, notamment les deux que nous venons de citer, les auteurs n’indiquent nulle part où le terrible accident s’est produit, ni même la date précise du drame. Ils se sont contentés seulement de diffuser l’information sans même citer une source.

Compte tenu de la viralité de cette “information”, nous avons décidé de mener nos investigations pour éclaircir les zones d’ombre qui l’entourent. Ainsi, après nos recherches, nous sommes en mesure de replacer cette information dans son contexte. 

A travers l’outil de recherches d’images inversées Google Images, nous avons pu remonter à la source de la photo utilisée pour illustrer les posts sur Facebook. Et puis, nous avons aussitôt retrouvé la source de cette information. Bien qu’elle soit vraie, le contexte est loin d’être actuel et le lieu n’est pas celui que beaucoup d’abonnés ont sans doute pu imaginer.

En effet, cette information a été diffusée pour la première fois, il y a deux ans  par le site d’informations générales Senenews.com, un média sénégalais. Pour la première diffusion, il s’agissait d’une brève avec pour titre « Collision avec un camion : Elle partait à l’AIBD pour son vol mais meurt sur le coup avec sa mère ».

Publiée le 13 novembre 2021 à 12h17, cette brève a été mise à jour quelques minutes plus tard à 12h45 minutes. C’est le journaliste Modou Mamoune Tine qui est l’auteur de cette dépêche faisant état de ce terrible accident.

Peu de temps après, à 12h53 le même média, Senenews.com, est revenu dans un autre article un peu plus détaillé sur ce drame qui a coûté la vie à la jeune Adama et à sa maman, blessant les deux autres occupants du véhicule.  

Nous l’avons contacté. Depuis le Sénégal, Modou Mamoune Tine est revenu sur les circonstances de l’accident. « C’est sur la route menant vers l’Aéroport International Blaise Diagne (AIBD) que l’accident s’était produit. Il faisait nuit et le camion, sur l’image, était mal stationné et sans signalisation. Le chauffeur du 4×4, par manque de vigilance, est allé s’empêtrer derrière », nous a précisé le journaliste. Il confirme les deux cas de morts et les deux autres passagers qui s’en sont sortis avec des blessures. « Il y avait dans le véhicule, la mère, sa fille Adama, un accompagnant et le chauffeur », nous a-t-il confirmé.

Aux origines de cette résurrection

Dans nos recherches, nous avons interpellé Alpha Alimou Diallo sur sa publication, dans le but de savoir comment il a pris connaissance de cette information et s’il savait qu’elle n’est pas récente. Il s’est défendu en ces termes : « C’est une information que j’ai vue comme ça sur internet.  Mais quand je l’ai partagée, j’ai compris à travers les commentaires que c’est une information qui date d’il y a plus d’un an ». Il ajoute que c’est surtout la description du drame qui a touché sa sensibilité et donc sa motivation à la publier. « Dès que j’ai vu cette information, j’ai eu de la tristesse. Du coup, je n’ai pas cherché à vérifier, j’ai balancé sur mon mur Facebook. Avec les commentaires, j’ai découvert que c’est une ancienne information et ce n’est pas un drame qui s’est produit en Guinée », a-t-il concédé.

Malgré cette évidence, il n’avait pas supprimé la publication sur sa page au moment où nous rédigions cet article. 

Pour la page Flash Guinée 224, l’administrateur général que nous avons contacté a indiqué avoir pris l’information sur le mur de Alpha Alimou Diallo. Mais il admet qu’il s’était finalement rendu compte que cette information n’est pas d’actualité récente. Lui également ne l’avait pas supprimée sur sa page Facebook qui compte plus de 100 000  abonnés.

Une menace pour le fondement de la démocratie… 

Contactée par notre équipe, Stéphanie Lamy, spécialiste des opérations sémantiques (stratégies de désinformation) et militante féministe, estime que la séquence qui a été mise en lumière dans cet article décrit parfaitement comment une information est recyclée, décontextualisée, dépolitisée et rebalancée dans la seule idée de gratter des likes et partages par la manipulation de l’émotion. « Pour moi, malgré le fait que des internautes sont intervenus pour le dire à ceux qui ont publié l’information décontextualisée, il y a plus d’incitation à laisser en ligne une information décontextualisée et dépolitisée que de la supprimer. On ne valorise que la visibilité et on ne valorise pas assez l’exactitude et la pertinence des propos. Dans le long terme, la multiplication de cette décontextualisation de l’information fait que l’internaute lambda ne saura plus vers quelle source se fier et on a une déstabilisation totale de tous ceux qui parlent et estiment légitime sur le sujet. Sur le long terme, ce sont les conséquences que cela peut avoir sur les sociétés et ceux qui sapent les fondements de notre démocratie, puisque le principe démocratique part du principe que chacun peut débattre des points de vues, ou des faits divers à partir des faits réels. Mais à partir du moment où ce n’est que de l’émotion, et que la véracité n’est plus importante, ni valorisée, on n’a plus un débat démocratique, mais juste des ressentis des uns et des autres », analyse-t-elle.

Verdict

L’information est certes vraie, mais elle est hors contexte. Non seulement elle date de plus de deux ans, mais aussi cet accident s’est produit au Sénégal, et non en Guinée comme l’auraient pu imaginer certains internautes guinéens.

Cet article a été rédigé par Aboubacar Siddy Diallo (Siddy Koundara Diallo) dans le cadre du projet d’Éducation aux Médias, à l’Information et au Numérique Plus (EMIN+) avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Il a été édité par Thierno Ciré Diallo et approuvé par Mamadou Alpha Sow, le Directeur de publication foutakameen.com.

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