À Fafaya, sous-préfecture relevant de la préfecture de Koubia, le centre de santé survit grâce à l’engagement de quelques bénévoles et contractuels, le tout coordonné par le chef du centre.Le seul agent de l’État sur place. En l’occurrence, Ouèret Koïvogui raconte des conditions de travail précaires : pas d’ambulance, peu de matériel, de longues attentes pour les urgences et une population souvent contrainte d’attendre le dernier moment pour se faire consulter.
Dans cet entretien réalisé par la rédaction de foutakameen.com, le chef du centre explique tout sans langue de bois.
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Temps de lecture : 12 minutes
– Foutakameen.com : Bonjour monsieur, merci d’avoir accepté de nous recevoir.
– Le chef du centre : Oui bonjour et bienvenue à Fafaya.
– Foutakameen.com : Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer dans quelles conditions vous travaillez ici ?
– Le chef du centre : Vous savez, il n’y a pas tellement de personnel. Si on prend le personnel qui est à la charge de l’État, pratiquement au centre de santé de Fafaya, je suis le seul agent de l’État. Donc, tous les autres agents qui sont là, c’est soit des contractuels ou des bénévoles.
– Foutakameen.com : Quel est l’effectif du personnel, qu’il s’agisse des contractuels ou de ceux pris en charge par l’État ?
– Le chef du centre : On est au nombre de neuf. Si je prends la CPC ici, on est trois. J’ai un agent de point de vente, j’ai deux agents pairs, j’ai deux sages-femmes dont l’une est contractuelle et l’autre est bénévole. Et au PEV, les deux là même, ce sont des bénévoles, il n’y a même pas de contractuel. Les autres sont des agents d’appui, partout où il y a besoin je les mets là-bas.
– Foutakameen.com : quel état se trouve l’infrastructure et quels sont les services qui y sont disponibles ?
– Le chef du centre : Le service, comme je l’ai dit, il y a six : il y a la CPC, il y a le soin, il y a le point de vente, il y a le PEV, il y a le service CPN et l’accouchement.
– Foutakameen.com : Quel type de cas prenez-vous en charge ici, selon vos compétences ?
– Le chef du centre : Puisque chacun de nous a suivi une certaine formation, nous, on a, comme vous venez de le dire, suivant nos compétences, on prend en charge par exemple ici les maladies courantes telles que le paludisme simple, les IRA, les helminthiases et d’autres maladies qu’on peut vraiment traiter à partir de l’hémogramme. Ce qui nous semble compliqué, parce que chacun a ses limites, on envoie ça à Koubia. Bon, maintenant de l’autre côté, au PEV, l’agent est informé et il applique tout, à commencer par le BCG jusqu’à la sortie, parce que le BCG c’est la porte d’entrée. Maintenant, à la CPN par exemple, les deux-là font la CPN et les accouchements. Les accouchements qui sont simples, c’est-à-dire le paquet minimum, ils font ça. Maintenant, les autres, on les réfère à Koubia. Comme aujourd’hui par exemple, on avait une complication : on avait reçu une femme qui avait des complications, on l’a référée.
– Foutakameen.com : Comment procédez-vous pour transférer les cas que vous ne pouvez pas gérer vers Koubia ?
– Le chef du centre : Quand on reçoit un cas qui nous semble compliqué ou bien qui n’est pas du tout gérable ici, parce que, comme je l’ai dit, chacun a ses limites, dès qu’on voit, on sent directement si on peut gérer ici ou pas. Donc, directement, on appelle la hiérarchie, on dit : « On a un cas qui nécessite une référence ». Dans ce cas, ils nous envoient l’ambulance et on envoie la personne à Koubia. Si Koubia ne peut pas traiter, eux aussi, ils savent ce qu’il faut faire.
– Foutakameen.com : Disposez-vous d’une ambulance pour transporter vos patients vers Koubia ?
– Le chef du centre : Non, pour le moment nous n’en avons pas, sauf si vous allez nous aider (rire).
– Foutakameen.com : Avez-vous entrepris des démarches pour obtenir une ambulance ?
– Le chef du centre : Oui, chaque fois, la communauté, nous-mêmes, nous cherchons, nous tendons la main à tout le monde, mais pour le moment ça n’a pas porté fruit.
– Foutakameen.com : Quelles sont les principales difficultés que vous pouvez rencontrer lors du transfert de vos patients ?
– Le chef du centre : Vous savez, si tout est à portée, ça devient moins compliqué. Mais imaginez, par exemple, vous recevez une femme, et dans nos communautés, des fois, les gens attendent, c’est quand ils trouvent vraiment qu’ils sont à bout d’effort qu’on nous envoie. Maintenant, imaginez qu’on envoie une femme ici, vous appelez l’ambulance, le temps que l’ambulance va mettre avant d’arriver ici et prendre la femme, se retourner, là ça devient compliqué. Et vous n’êtes pas sans savoir que nous ne sommes pas les seuls utilisateurs aussi de l’ambulance : il y a Pilimini, Matakaou, Missira, Gadhawoundou, et ainsi de suite. Si, par exemple, moi j’appelle et que l’ambulance se trouve à Matakaou, là on est obligés d’attendre.
– Foutakaleen.com : Enregistrez-vous des cas de décès lorsque de telles situations se présentent ?
– Le chef du centre : On a toujours la chance de référer à temps. On réfère toujours à temps, parce que quand il y a un cas qui vient, une femme enceinte, on évalue. Si on peut gérer ici, on gère ici. Si c’est le cas contraire, il y a des trucs à faire avant d’envoyer la femme à Koubia, avant que l’ambulance arrive. Par exemple, la prise d’une voie veineuse, tout ça, on fait avant que l’ambulance arrive.
Foutakameen.com : Les femmes enceintes peuvent-elles parfois arriver à un stade critique ?
– Le chef du centre : Ça arrive ici trop tard, généralement. Dans la communauté, vous-même vous voyez : par exemple, l’état de la route, il y a des gens qui n’ont même pas le minimum pour vivre, eux, ils sont là à survivre. Donc, ces personnes-là, s’il y a un problème, malgré que la prise en charge soit gratuite, les gens attendent d’abord. On dit : « Non, ça va aller. » Des fois, on reçoit les gens, c’est quand, généralement, les marabouts disent : « Je ne peux rien faire », maintenant on me l’envoie. Mais on doit saluer quand même : à 80 %, les gens viennent à temps, avec la sensibilisation qui passe tous les jours, il y en a vraiment qui ont pris conscience que, même si elles pensent que ça peut se passer très bien à la maison, elles disent : « Allons dans une structure sanitaire. »
– Foutakameen.com : quels moyens parvenez-vous à obtenir les médicaments nécessaires ?
– Le chef du centre : Vous savez, le gouvernement a un contrat avec la PCG, c’est avec le relais qui se trouve à Labé. Puisqu’après le monitorage, il y a des lignes, on dit par exemple : on budgétise combien on peut consommer durant la période, on fait une estimation. On fait la commande suivant le budget qui nous est alloué, c’est-à-dire la programmation au niveau de la DPS. On se dit que, par exemple, de juillet à décembre — vous savez, on fait par semestre — on peut consommer la valeur du médicament, la valeur peut aller parfois jusqu’à 30 à 50 millions de francs guinéens.
– Foutakameen.com : Est-ce qu’il vous arrive d’être en rupture de médicaments ? Et, dans ce cas, comment faites-vous pour gérer la situation ?
– Le chef du centre : Bon, ce n’est pas dire que d’emblée, comme on dit, par exemple, c’est 10 millions ou 30 millions que nous devons gérer pour les médicaments. Quand ça finit, on ne s’arrête pas là. Non, si on est un bon chef de centre, on peut programmer, on peut anticiper. Exemple : dans mon magasin, je sais actuellement quelles sont les molécules qui peuvent tenir jusqu’au prochain monitorage. Je sais aussi qu’il y a des médicaments qui ne vont pas tenir jusqu’au mois de décembre si ce n’est pas le médicament du programme, parce que, pour le programme, ils savent, ils ont la période pour la livraison, ils nous envoient directement. Maintenant, les autres produits que nous-mêmes nous achetons, quand je pense, par exemple, qu’à deux mois il va y avoir une rupture, je signale au DPS (Directeur préfectoral de la santé), et puis on revoit le budget. Après, on peut dire, par exemple, au lieu de telle somme, on va jusqu’à telle somme pour ne pas qu’il y ait rupture.
– Foutakameen.com : Vos commandes de médicaments accusent-elles parfois du retard ?
– Le chef du centre : Je ne dis pas si un produit n’existe pas, mais si ça existe, ce n’est pas pour faire l’éloge des gens, mais je crois que personnellement, chaque fois que je vais à la PCG, je suis un peu le bienvenu. Chaque fois que je mets la commande, ça ne dure pas, je reçois mes médicaments.
Foutakameen.com : Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous faites face au centre de santé de Fafaya ?
– Le chef du centre : La première des choses, comme je l’ai dit ici : imaginez un centre de santé comme Fafaya, je suis le seul agent de l’État, tout le reste, c’est soit des bénévoles ou des contractuels. Et quand je dis contractuel, au centre ici, il n’y a qu’une sage-femme maîtresse, c’est elle seule qui est contractuelle. Tous les autres, ce sont des bénévoles. Donc, le problème du personnel, ça, c’est le numéro un. Si le personnel était pris en charge, je crois que vraiment ça va beaucoup me soulager, parce que ça me fait de la peine qu’à la fin du mois, malgré mon petit salaire, je m’attends à quelque chose. Même si c’est 100 francs, je sais que c’est régulier et puis je vais aller prendre les 100 francs. Maintenant, les autres qui sont là avec moi, moi, je ne suis qu’un chef, les activités en général, ce sont eux qui les mènent. Je peux ne pas être là pendant une semaine, le service ne va pas s’arrêter, ils vont travailler, et à la fin du mois, ils s’attendent à quoi ? Zéro. Donc, il y a ça. Ensuite, tout le système ne fonctionne pas. Si, par exemple, je parle du laboratoire, je n’ai pas de laboratoire. Un centre de santé aujourd’hui, vu l’évolution de la science et la complexité des maladies, il nous faut un labo pour faire un bon traitement. Quand tu as un labo, tu es sûr, au moins, à 80 ou 90 % de chances de traiter correctement une maladie. Mais si on se réfère uniquement aux signes, ça ne suffit pas, il faut aller avec exactitude.
– Foutakameen.com : Lorsque vous prescrivez un produit qui n’est pas disponible ici, comment faites-vous pour que le patient puisse se le procurer ?
– Le chef du centre : Il nous arrive des fois de prescrire, suivant l’organigramme, certains médicaments. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a des limites. Il y a des médicaments qui peuvent se trouver ici, qui ne sont pas dans les postes, parce que ce n’est pas autorisé. Il y en a qui sont à Koubia et qui ne peuvent pas arriver ici. Donc, si on prescrit un médicament qui n’est pas ici, je peux appeler à Koubia, j’aide les gens à appeler. Je demande d’abord à la personne : Si tu as un parent, par exemple, à Labé, tu peux l’appeler ? Maintenant, si tu n’as pas de parent, il y a des pharmacies là-bas, on peut t’aider : tu restes là, on communique avec le pharmacien en direct, tu sais combien tu dois payer, et puis tu lui fais le dépôt. Et comme c’est moi, par exemple, l’agent de santé, il peut passer par moi pour que tu aies ton médicament, vous fixez rendez-vous, il embarque ton colis.
– Foutakameen.com : Est-ce que toute cette procédure ne risque pas d’aggraver l’état de santé du patient ?
– Le chef du centre : Ça peut prendre du temps, mais si vous prenez, par exemple, comme je l’ai dit, il y a des maladies que nous pouvons traiter et il y en a qu’on ne peut pas du tout traiter. Donc, on fait la prise en charge de ce qu’on peut traiter et le reste, comme l’appendicite, on donne un calmant pour que la personne puisse aller à Koubia suivre l’intervention, parce qu’on ne peut pas faire ça ici. À part ça, nous avons quand même le minimum pour soulager les gens afin qu’ils puissent aller se traiter dans les hôpitaux adaptés.
– Foutakameen.com : Disposez-vous de l’eau et de l’électricité dans ce centre ?
– Le chef du centre : L’eau n’est pas régulière, il faut le reconnaître. Ils ont fait l’installation, mais imaginez, déjà là, maintenant, il n’y a pas d’eau dans le robinet. Qu’est-ce qui va arriver au mois de mars ? Et ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’eau que la femme ne va pas venir accoucher. Les proches de la femme doivent aller à la pompe chercher de l’eau pour entretenir les femmes. Mais le problème de courant crée aussi un souci. Puisqu’il y a toujours une ligne pendant le monitorage, et même si on le souhaite, l’EDG n’est pas encore arrivé ici. Donc, on nous dit d’acheter une batterie pour charger les ampoules. Si nous avons la chance avec vous de trouver une personne de bonne volonté qui peut nous doter de panneaux de grande capacité avec des batteries, ça peut nous arranger. D’ailleurs, nous avons un nouveau bâtiment qu’on veut faire en centre de santé amélioré, mais le manque de fonds pour l’équipement nous empêche de l’utiliser. On a vu les autorités, on espère un retour positif. Mais n’empêche que si vous nous aidez avec vos connaissances, on accepte à bras ouverts, parce que la communauté et le gouvernement ne peuvent pas tout faire.
– Foutakameen.com : Pour terminer, quel message souhaitez-vous adresser à l’État et aux habitants de Fafaya ?
– Le chef du centre : Grâce à vous, beaucoup de personnes vont savoir qu’il y a un centre de santé à Fafaya qui a besoin de personnel, d’entretien, qui n’a pas d’eau et d’électricité — parce que pour moi, tant que ce n’est pas régulier, j’estime qu’il n’y en a pas — et surtout de prise en charge des agents qui travaillent ici. Ensuite, je remercie la communauté pour tout ce qu’elle fait, mais je lui demande de redoubler d’efforts et de continuer à nous faire confiance, de venir à la structure et de ne pas attendre la dernière minute pour chercher des soins.
Entretien réalisé par Mamadou Aliou Diallo et Abdoul Karim Baldé
Décryptage : Mamadou Dian Diallo
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