Le poular, langue identitaire des peulhs et parlée bien au-delà de ses frontières ethnique, traverse aujourd’hui une crise inquiétante. Jadis, elle servait de lien de communication et de transmission culturelle. Mais à l’ère des réseaux sociaux et face à la domination des langues étrangères, notamment le français, l’anglais ou l’arabe, elle tend à s’effacer peu à peu, en particulier chez la jeunesse.
Une langue mise en marge par les nouvelles générations
Pour beaucoup de jeunes, s’exprimer en poular semble presque gênant, comme le regrette le journaliste Alpha Ousmane Bah :
« De nos jours, dès l’âge de trois ans, on inscrit ses enfants dans une école française, franco-arabe ou anglaise. Ils grandissent avec ces langues étrangères. Avec la colonisation, le français est devenu langue officielle, et même nous qui nous battons pour la survie du poular, nous avons des difficultés à nous exprimer correctement dans notre langue maternelle », déplore-t-il.
Alpha Ousmane Bah, Journaliste
Même constat chez le poète Mamadou Yaya Diallo, qui pointe du doigt la responsabilité des parents :
« Tout commence à la maison. Si les parents veulent que leurs enfants parlent correctement poular, c’est possible. Mais aujourd’hui, les enfants appellent leurs parents en langues étrangères et ces derniers en sont fiers », fustige-t-il.
Mamadou Yaya Diallo, Poète
Abandon des coutumes, perte de repères
Pour Alpha Oumar Mosquée Diallo, directeur de la radio rurale de Labé, la disparition du poular est intimement liée à l’abandon des coutumes et mœurs :
« La traduction du Coran se faisait autrefois en poular, nos parents n’utilisaient aucune langue étrangère. Une langue est un pilier pour préserver les valeurs socioculturelles. Or, nous avons aussi abandonné notre mode vestimentaire comme le leppi ou le pouto. C’est comme si l’artisanat n’existait plus, alors que nous avons d’excellents artisans. Nous privilégions les produits importés au détriment des nôtres. En communication aussi, nous sommes plus à l’aise dans d’autres langues que dans la nôtre », regrette ce responsable de média.
Alpha Ouamar mosquée Diallo, Directeur de la radio rurale de Labé
Des conséquences alarmantes
La disparition progressive du poular menace l’identité culturelle du peuple peulh insiste Alpha Ousmane Bah :
« Une communauté se reconnaît à travers ses valeurs. Si elles disparaissent, elle perd toute référence qui la distingue des autres », affirme le journaliste.
Même inquiétude chez l’enseignant Mamadou Saliou Diallo :
« Aujourd’hui, il est difficile de trouver un enfant capable de compter de 1 à 10 en poular. Dans nos marchés, quand on s’exprime en poular, on n’est même pas considéré. C’est triste de voir des parents qui ne parlent à leurs enfants qu’en langues étrangères. Si nous continuons sur cette voie, nous risquons de disparaître », alerte l’enseignant.
Mamadou Saliou Diallo, Enseignant en langue poular
Un appel à la responsabilité collective
Pour inverser la tendance, les acteurs interrogés plaident pour un retour aux sources, avec un effort collectif au sein des familles et de la société.
« Si nous voulons préserver nos coutumes et nos mœurs, il faut que nos enfants parlent couramment poular à la maison. Racontons-leur des contes, des histoires, emmenons-les aux activités de traduction. N’acceptons pas qu’ils privilégient une langue étrangère au détriment de la nôtre », recommande Alpha Oumar Mosquée Diallo.
Pour Mamadou Saliou Diallo, privilégier le poular c’est conserver son identité.
« Parler sa langue maternelle n’est pas un manque de civilisation. Au contraire, c’est une preuve d’éveil. Tout un chacun doit faire l’effort d’apprendre et de transmettre le poular », lance notre interlocuteur.
Enfin, Alpha Ousmane Bah conclut en ces terme :
« La première forme de civilisation, c’est la langue maternelle. Enseignons le poular à nos enfants, écrivons-le, transmettons-le. Si nous ne le faisons pas aujourd’hui, demain il sera trop tard », alerte le cet homme de média.
Abdoul Karim Baldé pour foutakameen.com
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